Pré-éclampsie : 9 mois ensemble. Maintenant étrangers.

« Ma seconde grossesse se déroule pour le mieux. J’ai 32 ans, je suis en parfaite santé, sans antécédent (si ce n’est une hémorragie modérée de la délivrance lors de mon 1er accouchement), en forme et travaille jusqu’à la date de mon congé pathologique qui débute le 09 décembre 2022. Bébé va bien également, nous l’attendons pour le 31 janvier 2023. 

La gynécologue qui me suit a été surprise de ma prise de poids lors de mon rdv de contrôle du 3ème trimestre en novembre (+4kg en 1 mois alors qu’habituellement je prends 1kg par mois). Je n’ai pas d’œdème, elle me donne des recommandations diététiques pour limiter la prise de poids les mois suivants. 

Début janvier, mes analyses ne sont pas très bonnes. Je suis fatiguée mais je me dis que la fin de la grossesse approche, que c’est normal. J’ai quelques maux de tête mais j’y suis sujette lorsque je suis fatiguée. La gynécologue me demande de contrôler ma tension plusieurs fois par jour et de me rendre à la maternité immédiatement si besoin. Elle me prescrit des analyses complémentaires à faire ainsi qu’un suivi sage-femme chaque semaine jusqu’à l’accouchement. Elle me parle d’un probable déclenchement dans la semaine. 

Le 11 janvier, les résultats des analyses reviennent et ne sont toujours pas très bons (plaquette basses, protéinurie élevée). La gynécologue me demande d’aller à la maternité. Je fais de nouvelles analyses et voit le gynécologue avant de repartir. J’écourte l’histoire mais pour des raisons qui n’ont pas de lien avec la pré-éclampsie, je dois changer de maternité et refaire mon dossier dans la maternité de l’hôpital juste à côté, à quelques jours de mon accouchement pour une meilleure prise en charge en cas d’hémorragie (RAI qui se sont positives en cours de grossesse). Après de nombreuses analyses, il n’est plus question de déclenchement, les derniers résultats étaient bons (les plaquettes basses tout de même), la tension est stable et pas inquiétante. 

Le 19 janvier vers 18h00, la poche des eaux se fissure. À 21h00, nous arrivons à la maternité. Mes analyses sont bonnes, le travail avance bien, nous passons directement en salle de naissance. On me pose la péridurale (je suis déjà à 4), heureuse d’avoir cette fois un accouchement qui se déclenche spontanément. Notre petit Louis arrive le 20 janvier 2023 à 9h38. Je suis tellement heureuse qu’il soit là et fière d’avoir accouché sans péridurale (qui ne fonctionne pas sur moi). Une nouvelle fois, le placenta ne se décolle pas. Je savais que l’on n’attendrait pas avant qu’une décision soit prise pour une délivrance artificielle puisque c’est la deuxième fois que cela m’arrivait. La sage-femme appelle donc du renfort. La gynécologue arrive rapidement et fait sortir le placenta (je sens une énorme quantité de sang venir avec). Nous sommes de plus en plus nombreux dans cette salle d’accouchement (une dizaine de personnes). Je me laisse faire, impatiente de retrouver mon bébé et de le présenter à sa grande sœur l’après-midi même.

À 11h30, je retrouve enfin mon bébé. Il est en pleine forme et pèse 3,630kg. Le personnel soignant est toujours à mes côtés. Je ne sais pas pourquoi et ne comprends pas pourquoi. Je me sens bien, prête à démarrer cette nouvelle vie à 4. La gynécologue revient me voir et m’annonce que j’ai une compresse vaginale car j’ai perdu énormément de sang (2,2 L au total soit près de la moitié de ce que nous avons à l’âge adulte), que je ne peux pas aller en maternité car les soins sont trop lourds et qu’on va me transfuser rapidement. Je dois donc aller en soins intensifs pour la nuit et mon bébé ira en maternité. On nous laisse passer la journée ensemble (sous haute surveillance médicale), en salle de naissance. Pas de rencontre avec notre grande aujourd’hui. À 17h00, on vient me chercher. Mon bébé part en maternité avec son papa et c’est finalement en réanimation que je vais. Les analyses ne sont pas bonnes.

Je découvre un autre monde. Ma soirée et ma nuit ne sont pas rythmées par les pleurs de mon bébé ni les couches à changer, mais par les scopes de mes voisins et de nombreux examens, analyses et soins me concernant. Le lendemain, mauvaise nouvelle : les analyses ne sont toujours pas bonnes, je dois encore rester ici. On me parle d’insuffisance rénale aiguë, on me demande si j’ai des antécédents de ce côté-là (ce qui n’est pas le cas). En réanimation, les journées sont rythmées et je me rends très vite compte que je ne peux pas bouger de mon lit et qu’il est donc impossible que je m’occupe de mon bébé. La rencontre entre nos 2 enfants aura donc finalement lieu dans un box de réanimation… Ce n’est pas du tout ce que nous avions imaginé mais nous nous adaptons et sommes heureux d’être enfin tous les 4. 

Le 22 janvier, les analyses ne sont toujours pas bonnes. Les médecins sont sur la piste d’un SHU (syndrome hémolytique et urémique). On me parle également de dialyse et mon régime alimentaire est adapté. Mon dossier part sur Paris pour avoir un avis et on cherche le marqueur de cette maladie dans mon sang. Les jours se suivent et se ressemblent. Je peux voir mon bébé la journée mais je ne peux pas m’en occuper. Je suis toujours branchée de partout et bien trop faible même si je me sens bien. 

J’essaye tant bien que mal de créer du lien avec lui mais ce n’est pas évident. Nous avons passé 9 mois ensemble et sommes maintenant des étrangers. Je ne sais rien de lui, de ses habitudes mais je m’accroche pour le rejoindre au plus vite. Le lendemain, lors de la visite du médecin, je comprends que j’ai frôlé la mort et que je reviens de loin. Mon pronostic vital n’est plus engagé, mes reins se remettent à fonctionner doucement mais je suis encore trop fragile pour aller en maternité. 

C’est un vrai bouleversement pour moi. Jusque-là, je n’avais pas conscience que j’avais failli mourir. Jamais je ne me suis sentie en danger à ce point. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi j’étais ici et pourquoi on me surveillait autant. Je me sentais bien et je n’étais pas préparée à ce qu’en 2023, on puisse encore perdre la vie en la donnant. Je pensais que cela ne touchait qu’une infime partie des femmes et pas des personnes en parfaite santé. 

Le 25 janvier, la piste du SHU semble écartée (mais à confirmer car les résultats peuvent être faussés par la transfusion). Les dernières analyses sont fragiles mais en amélioration. À 14h00, je rejoins enfin la maternité ! Un vrai bonheur de retrouver enfin son bébé et un peu plus de liberté. J’y suis sous haute surveillance. Mon séjour sera rythmé par de nombreux examens : analyses, échographie des reins, échographie cardiaque, Doppler veineux, une nouvelle transfusion… Malgré tout cela, je suis heureuse et prends enfin mon rôle de maman de 2 enfants. Je découvre mon tout petit bébé et j’apprends à le connaître. Il est si facile. Nous profitons, enfin. Trois jours plus tard, nous pouvons enfin rentrer à la maison. Une infirmière passera chaque jour et je dois faire des analyses et examens complémentaires dans les jours/semaines à venir pour s’assurer que mes reins ne garderont pas de séquelles. À ce moment-là, les médecins n’ont fait aucune conclusion et suivent encore mon dossier. Une fois à la maison, nous prenons nos marques tous les 4. Tout se passe bien. Je retrouve peu à peu de l’énergie. Bébé Louis se porte à merveille. C’est un vrai petit soleil, il sourit énormément. Je me sens bien, en accord avec mes choix et décisions mais aussi en décalage avec certaines personnes… Mes priorités ont changé, ma manière de vivre également. 

Après une telle expérience, je ne suis plus la même, c’est évident ! Et puis j’ai eu peur. Peur de ne pas réussir à créer de lien avec mon bébé, peur qu’il m’en veuille de l’avoir « abandonné » pendant ses premiers jours, peur qu’il me rejette ou qu’il garde des séquelles de mon absence à sa naissance. Je suis vite rassurée, ce n’est pas le cas. Nous restons vigilants sur les éventuelles séquelles qu’il pourrait garder en grandissant. 

De mon côté, je ne retiens que le positif de cette expérience. J’ai été entourée et soutenue par des médecins, des infirmières, des sages-femmes, des aides-soignantes, des puéricultrices, des auxiliaires incroyablement bienveillants. Ils m’ont donné une force, un courage et ont été d’un soutien sans faille. Jamais je n’oublierai leurs mots, leurs sourires et leurs encouragements. Grâce à eux, je garde un très bon souvenir de mon accouchement (ce n’était pourtant pas gagné !). Je suis fière d’avoir mené ce combat, avec le sourire (bon, j’ai quand même râlé un peu pour faire certains examens… 😉). 

Le 12 mai, je reprends le travail. Le compte-rendu des médecins est arrivé quelques jours avant. Ils ont conclu à une pré-éclampsie sévère (HELLP syndrome) et une hémorragie sévère. Je n’ai pas de séquelles et peut reprendre une vie normale. 

Mon témoignage a pour but d’alerter : je suis en très bonne santé, ma grossesse se déroulait pour le mieux et touchait à sa fin, et pourtant, sans m’en rendre compte, avec de très légers symptômes (quelques essoufflements, maux de tête et des analyses pas toujours parfaites), cette maladie me rongeait. 

Si je suis en vie aujourd’hui, c’est parce que mon bébé a pris la décision de venir nous rencontrer de lui-même. Je ne me suis pas assez écoutée, pensant que tant que je ne perdais pas de sang, tout allait bien. Ce n’était pas le cas. J’ai eu beaucoup de chance, une bonne étoile comme on m’a dit pendant mon hospitalisation. 

À toutes les femmes qui souffrent actuellement de cette maladie : ne baissez pas les bras, vous êtes plus forte que ce que vous imaginez !

À toutes les femmes enceintes qui se posent des questions : n’hésitez plus, écoutez-vous, consultez et insistez pour une prise en charge ! »

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